Emmanuelle : pionnière de l’émancipation féminine ou reflet d’une vision machiste du plaisir ?

20 septembre 2024

Sorti en 1974, Emmanuelle de Just Jaeckin a marqué un tournant dans l’histoire du cinéma érotique, devenant rapidement un phénomène mondial. Considéré comme audacieux pour son époque, le film, basé sur le roman semi-autobiographique d’Emmanuelle Arsan, a ouvert la voie à la représentation explicite de la sexualité féminine dans le cinéma grand public. Près de cinquante ans après sa sortie, alors qu’un remake arrive au cinéma le 25 septembre prochain, la question persiste : Emmanuelle est-il un film pionnier dans l’exploration du plaisir féminin ou une œuvre machiste dissimulée derrière l’apparente libération sexuelle de son héroïne ?

La première représentation du désir féminin ?

Dans un paysage cinématographique des années 1970 encore dominé par une perspective masculine, Emmanuelle apparaît comme une anomalie. Le film raconte l’histoire d’une jeune femme mariée, interprétée par Sylvia Kristel, qui explore librement sa sexualité à travers une série d’expériences sensuelles en Thaïlande. Ce qui distingue Emmanuelle des films érotiques traditionnels de l’époque, c’est la centralité du personnage féminin et son contrôle narratif sur son propre désir. Plutôt que d’être un simple objet de désir masculin, Emmanuelle se place au cœur de l’intrigue, cherchant activement à comprendre et à vivre ses sensations et ses fantasmes, ce qui en fait l’une des premières représentations explicites du plaisir féminin dans un film grand public.

À une époque où la majorité des films érotiques étaient réalisés pour un public masculin, Emmanuelle offrait une perspective nouvelle : une femme qui s’autorise à être le sujet de son propre désir. L’œuvre met en scène des dialogues et des situations où Emmanuelle est curieuse de son corps et de ses limites, rompant avec l’image passive ou soumise traditionnellement associée aux personnages féminins dans les œuvres érotiques. Cette représentation, pour l’époque, était audacieuse. Le personnage féminin n’était plus cantonné à un rôle décoratif ou secondaire ; elle prenait activement en main sa propre découverte sexuelle.

Sylvia Kristel, devenue une icône érotique à la suite de ce film, a souvent été perçue comme une figure de libération. Certaines critiques féministes de l’époque ont vu dans son personnage une forme d’émancipation, célébrant le fait qu’une femme puisse enfin explorer son plaisir sans honte ni culpabilité. Le succès international du film a prouvé qu’il touchait une corde sensible, notamment chez un public féminin qui, jusque-là, ne se reconnaissait pas dans les récits érotiques ou pornographiques dominés par le point de vue masculin. Emmanuelle a donc ouvert la voie à une réflexion plus vaste sur la sexualité féminine et sa place dans le cinéma, questionnant les normes morales et culturelles de l’époque.

Un fantasme machiste déguisé ?

Toutefois, malgré cette lecture progressiste, Emmanuelle n’échappe pas aux critiques. Derrière la façade d’émancipation sexuelle, certains y voient une œuvre essentiellement construite pour satisfaire le regard masculin. En effet, bien que le film prétende placer le plaisir féminin au centre, il est réalisé par des hommes et, comme beaucoup l’ont noté, demeure empreint d’un certain voyeurisme. Les scènes de sexe, bien que centrées sur Emmanuelle, sont souvent stylisées de manière à exciter un public masculin, avec une esthétique qui tend à faire des corps féminins des objets.

Plusieurs critiques estiment que la libération sexuelle du personnage principal est conditionnée par la présence et l’influence d’hommes plus âgés ou plus expérimentés, qui agissent comme des mentors ou des guides dans sa quête de plaisir. Par exemple, dans le film, Emmanuelle rencontre Mario, un homme qui lui enseigne une forme de philosophie du plaisir, insistant sur l’abandon et la soumission comme clés de la libération. Pour certains, cette dynamique renforce des stéréotypes de domination masculine, où le pouvoir et le contrôle restent du côté des hommes, tandis que la femme est invitée à « se découvrir » sous leur influence.

Des éléments plus troublants du film, comme les scènes de domination et de soumission, renforcent cette idée d’un plaisir féminin façonné par un cadre patriarcal. Emmanuelle, bien qu’elle explore librement ses désirs, semble souvent suivre les attentes ou les désirs des hommes qu’elle rencontre. Ainsi, la notion de libération sexuelle reste ambiguë : s’agit-il d’une véritable émancipation ou d’une forme de réaffirmation des rôles traditionnels où la femme, malgré tout, reste dominée par des figures masculines ?

Un remake 50 ans après la sortie du film original

À l’aube de la sortie d’un nouveau film Emmanuelle réalisé par Audrey Diwan, la discussion sur la représentation du plaisir féminin connaît un nouvel élan. Cette nouvelle adaptation, prévue pour le 25 septembre 2024 après une première mondiale au Festival de San Sebastián, met en vedette Noémie Merlant dans le rôle principal. Diwan, connue pour son travail sur L’Événement, a promis une relecture plus moderne et nuancée de ce classique érotique, ancrée dans un regard féminin.

En mettant l’accent sur l’autonomie d’Emmanuelle et en explorant ses désirs dans un contexte contemporain, le film entend repenser les dynamiques de pouvoir entre hommes et femmes qui avaient marqué l’original. Avec des acteurs tels que Naomi Watts et Jamie Campbell Bower, ce remake s’annonce comme une réinvention ambitieuse d’un mythe cinématographique, cette fois sous une lentille plus introspective et émancipatrice​(

Avec le recul, il est possible de considérer Emmanuelle comme une œuvre qui a su poser des jalons importants tout en restant emprisonnée dans les contradictions de son époque. Ce qui est sûr, c’est qu’il appartient aux spectateurs et aux générations suivantes de réévaluer cette œuvre selon les standards actuels. Il ne fait aucun doute que le cinéma a depuis évolué dans sa représentation du plaisir féminin, mais Emmanuelle reste un jalon clé dans cette histoire, tant pour ses réussites que pour ses ambiguïtés.

Découvrez la bande-annonce du remake d’Emmanuelle :

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