Mickaêl Tempête

Mickaël Tempête : « l’État souffle continuellement sur les braises de l’homophobie tout en proposant des coupables idéaux »

26 août 2024

Mickaël Tempête, né à Bordeaux en 1986, est un auteur engagé et une voix influente dans les débats sur la dissidence sexuelle. Membre actif de la revue Trou Noir, il y contribue régulièrement avec des articles incisifs sur l’homophobie, les pensées révolutionnaires, le cinéma et la poésie. En parallèle, il a co-fondé, avec un groupe d’amis, les Éditions la Tempête, une maison d’édition qui se consacre aux courants hétérodoxes du marxisme.

Le 13 septembre prochain, Mickaël Tempête franchit une nouvelle étape avec la publication de son ouvrage La Gaie Panique aux éditions Divergences. Ce livre, qui promet de bousculer les idées reçues, s’annonce comme une contribution majeure au débat sur les dynamiques contemporaines de l’homophobie en France. Tempête y explore un contexte où, après avoir été persécutés par l’État, les homosexuels sont désormais confrontés à une gestion sécuritaire qui les pousse à adopter une culture de la peur et des solutions policières. L’auteur interroge la mise en scène d’une « guerre sexuelle » qui sert à renforcer une masculinité hégémonique, triant entre ceux qu’on élimine, qu’on sacrifie, qu’on contrôle, ou qu’on fantasme. En s’appuyant sur une analyse approfondie de discours politiques, de débats scientifiques, de faits divers et de séquences médiatiques, cet essai dévoile les racines historiques de la répression du désir homosexuel et la persistance des violences anti-homosexuelles.

L’interview de l’auteur, que vous trouverez ci-dessous, vous permettra de plonger au cœur de sa réflexion et d’en comprendre les enjeux essentiels.

Comment voyez-vous l’évolution du rôle de l’État français, de la persécution à la gestion sécuritaire de l’homophobie, comme vous l’explorez dans La Gaie Panique, une histoire politique de l’homophobie ?

 » Dans ce livre, je suis parti à la recherche des bases théoriques à partir desquelles l’État français a légiféré, contrôlé et réprimé le désir homosexuel. Les lois anti-homosexuelles ont disparu avec l’arrivée du Parti socialiste au pouvoir au début des années 1980 mais ces bases théoriques, encore actives, se sont sédimentées dans l’ensemble de la société. À partir de ce moment, l’État n’a plus besoin de réprimer en masse les homosexuels, il lui suffit d’observer un rôle de « protecteur » à l’égard des victimes et de délégation de la violence anti-gay à ses concitoyens. Dans les années 2000, l’homophobie devient dans le Code pénal un facteur aggravant la peine encourue en cas d’agression, d’insulte ou de harcèlement. Mettre les homophobes en prison devient l’horizon principal, le refrain d’une chanson morbide, de ce que je nomme la « contraction sécuritaire ». Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, cela n’est pas une bonne nouvelle pour nous. L’État souffle continuellement sur les braises de l’homophobie en même temps qu’il propose des coupables idéaux – une communauté de la haine – et un remède en faisant comparaître les accusés devant un tribunal. On entre ici dans un sujet délicat car la solution carcérale, ardemment défendue par les politiciens et les médias de masse, nous rend dépendants des institutions policières et judiciaires pour lutter contre l’homophobie. Mon objectif avec ce livre est donc de briser le lien de dépendance avec ces solutions sécuritaires en refusant ce partage opportuniste entre une « communauté de la peur » et une « communauté de la haine ». Mais si l’État n’a plus besoin de réprimer frontalement l’homosexualité, c’est aussi parce qu’entre temps la « normalisation » a fait son travail. Un sujet homosexuel apolitique et respectable, économiquement viable et « républicanisé », est devenu un citoyen à part entière. Cette « homosexualité blanche », dirait le philosophe Guy Hocquenghem, est celle qui soutient le plus une gestion sécuritaire de l’homophobie. D’un autre côté, il est également important de préciser que certaines manières de vivre son homosexualité demeurent dans le viseur de l’État : les travailleurs du sexe et leurs clients, les militants radicaux et ceux qui cherchent quelques aventures sexuelles dans les lieux publics. Seulement, ils ne sont pas inquiétés par des lois spécifiques aux homosexuels mais par des lois plus générales. « 

Pouvez-vous expliquer comment la « guerre sexuelle » que vous mentionnez dans La Gaie Panique contribue à la construction d’une masculinité hégémonique et à la répression du désir homosexuel ?

 » Cette « guerre sexuelle » est motivée par la peur panique que produisent les altérités radicales qui minent l’ordre social. J’utilise le paradigme de la guerre car il me semble qu’il y a un enjeu vital qui se cache dans la répression des masculinités subalternes. Je voudrais prendre un exemple historique pour étayer mon propos. En 1960, au moment où le député gaulliste Paul Mirguet propose à l’Assemblée nationale son sous-amendement consistant à ranger l’homosexualité dans la catégorie des « fléaux sociaux », la France se débat en même temps avec ses colonies qui mènent des révoltes d’indépendance. Nous sommes aussi en pleine restructuration de la nation après la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation nazie : l’homme blanc français a une revanche à prendre. La France se cherche une nouvelle splendeur parmi les décombres, un renouveau autant économique que symbolique. Pour défendre l’idée que l’homosexualité est un « fléau social », Mirguet dira devant les députés : « Au moment où notre civilisation dangereusement minoritaire dans un monde en pleine évolution devient si vulnérable, nous devons lutter contre ce qui peut diminuer son prestige. » Cette phrase est intéressante car elle est pleine de sous-entendus, rien n’est clairement nommé,  seulement suggéré. Et procéder par sous-entendus est une façon de communiquer un horizon partagé, ici racial et sexuel. Après l’adoption du sous-amendement, la répression de l’homosexualité s’abattra particulièrement contre les « moins prestigieux », c’est-à-dire les classes prolétaires et immigrées qui, ne bénéficiant pas du luxe d’un logement privé pour vivre leur sexualité, s’exposaient davantage à la capture policière. Ainsi, durant cette période deux figures honnies de la masculinité germeront dans l’inconscient national : l’homosexuel pervers (détourneurs d’enfants) et l’Algérien au sexe-couteau (violeurs de femmes). Aujourd’hui, cette « guerre sexuelle » a pris une nouvelle tournure. Il n’y a plus de loi qui réprime spécifiquement les homosexuels, en revanche l’homophobie est devenue un instrument d’humiliation entre les mains de la police française à l’encontre des masculinités subalternes. Les récits d’interpellation où des agents de police insultent de « pédale » ou « d’enculé » des hommes racisés ne sont pas de simples bavures ni exceptions. Dans certains cas, comme dans l’affaire Théo Luhaka, des policiers vont jusqu’à la mutilation anale ou le viol de correction. Judith Butler et James Baldwin ont, chacun à leur manière, remarquablement décrit comment une paranoïa blanche se branche sur  une paranoïa anti-homosexuelle, comment l’homme blanc éprouve une forme d’attraction-répulsion à l’encontre du corps de l’homme noir ou arabe. C’est donc important de comprendre que dans mon livre, l’homophobie n’est pas seulement le nom d’un rejet que subissent des individus homosexuels mais aussi une « terminaison nerveuse » propre à l’application du pouvoir à l’encontre d’un corps dominé ou à dominer. « 

Quelles leçons historiques sont essentielles pour les mouvements LGBTQ+ actuels, et voyez-vous des continuités ou des ruptures avec le passé ?

 » Il faudrait aujourd’hui tirer les conséquences des politiques libérales qui ont été menées au nom des personnes LGBTQ+ depuis plusieurs décennies. Le Parti socialiste a certes supprimé les lois répressives anti-homosexuelles mais il a en même temps cherché à imposer son agenda politique en instrumentalisant nos luttes. Le groupe HES (Homosexualités et Socialisme) a joué un rôle d’intermédiaire entre le PS et le mouvement LGBTQ+ en siégeant dans des associations comme le Centre gai et lesbien de Paris, ce qui a eu pour but entre autres d’influer sur les mots d’ordre et les discours médiatiques des Marches des fiertés. La conséquence a été de façonner ces luttes pour qu’elles correspondent à une tradition républicaine et universaliste et d’en écarter les éléments subversifs. Le mouvement s’institutionnalise : fini les groupes d’agitation politique, les occupations, les esclandres dans les assemblées, les débordements de manif, etc. Les associations FLAG (agents de police LGBT) et Fiertés citoyennes (émanation LGBT du Printemps républicain) ont ensuite renforcé cet idéal d’ordre libéral et sécuritaire. Heureusement, les groupes queers radicaux actuels l’ont bien compris en intégrant dans leur politique d’émancipation une critique des nouvelles formes d’impérialismes économiques et culturels. Car le constat est net, les politiques répressives anti-homophobie n’ont pas permis de diminuer les violences LGBTQIphobes, elles sont au contraire en constante augmentation. La rupture se situe donc dans la volonté de retrouver une autonomie politique. « 

Quel message principal espérez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ? Y a-t-il une idée ou un concept particulier que vous souhaitez voir résonner au-delà des cercles académiques et militants ?

 » L’important pour moi était de réintroduire une lecture libidinale des rapports de pouvoir à travers le sort dévolu à l’homophobie. C’est-à-dire que l’homophobie n’est pas seulement la haine de la l’altérité, c’est aussi une peur fantasmée et érotisée de cette altérité. Or, ce qui nous terrorise est déjà en nous. C’est peut-être cette idée que j’ai voulu principalement transmettre car la structure libidinale de l’homophobie permet de voir comment celle-ci entre en résonance avec d’autres formes d’exclusion telles que le racisme ou la misogynie. L’homophobie, à l’instar de la transphobie, de l’islamophobie et de l’antisémitisme, est le lieu d’une panique morale et métaphysique occidentale. « 

>>> Pour commander le livre, c’est par ici : https://www.editionsdivergences.com/livre/la-gaie-panique

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