Le 2 août 2024, l’Argentine a annoncé une initiative controversée : l’utilisation de l’intelligence artificielle pour prédire les crimes futurs. Le président d’extrême droite Javier Milei a révélé la création d’une unité de sécurité dédiée, baptisée « Artificial Intelligence Applied to Security Unit », qui se servira d’algorithmes d’apprentissage automatique pour analyser les données criminelles historiques et anticiper les actes criminels à venir.
Une Inspiration cinématographique et des applications technologiques
Inspirée par des œuvres de science-fiction comme « Minority Report », cette initiative vise à éradiquer les crimes avant qu’ils ne se produisent. L’unité de police prédictive utilisera des logiciels de reconnaissance faciale pour identifier les personnes recherchées, surveiller les médias sociaux, et analyser en temps réel les images des caméras de sécurité pour détecter les activités suspectes. Selon le ministère argentin de la Sécurité, cette technologie permettra de mieux détecter les dangers potentiels, d’identifier les mouvements des groupes criminels, et d’anticiper les troubles.
Malgré les promesses d’une sécurité accrue, cette initiative suscite de vives inquiétudes parmi les organisations de défense des droits de l’homme et les experts. Ces derniers mettent en garde contre les risques élevés de faux positifs et les potentielles violations des droits de l’homme. Amnesty International et le Centre argentin d’études sur la liberté d’expression et l’accès à l’information (CELE) ont exprimé leurs préoccupations concernant l’impact de cette surveillance à grande échelle sur la vie privée et la liberté d’expression. Mariela Belski, directrice exécutive d’Amnesty International en Argentine, craint que les citoyens ne s’autocensurent ou évitent de partager leurs opinions par peur d’être surveillés.
Les défis de la technologie de police prédictive
L’usage de logiciels de police prédictive est loin d’être un succès incontesté. Historiquement, ces technologies ont souvent produit des résultats décevants. Une étude menée en octobre 2023 par The Markup et Wired sur le logiciel utilisé par la police de Plainfield, dans le New Jersey, a révélé un taux de réussite extrêmement bas, avec seulement 0,5% de prédictions correctes. De plus, ces technologies peuvent exacerber les biais existants, menant à des arrestations disproportionnées de personnes issues de minorités.
Le criminologue David Weisburd souligne que la présence policière accrue dans des zones basées sur des prédictions erronées peut avoir des conséquences négatives imprévues. Une étude de l’Université d’État de Caroline du Nord a également révélé que de nombreux services de police utilisent ces technologies sans en comprendre pleinement le fonctionnement, ce qui soulève des questions sur leur efficacité et leur utilisation éthique.
L’initiative du président Milei est particulièrement controversée dans un pays marqué par un passé de répression étatique, notamment pendant la dictature militaire de 1976 à 1983. Cette période sombre de l’histoire argentine a laissé des cicatrices profondes, et l’idée d’une surveillance gouvernementale accrue est perçue avec une grande méfiance par une partie de la population.
Les précédents et leçons de la police prédictive
Historiquement, les logiciels de police prédictive n’ont pas démontré une grande fiabilité. Par exemple, le logiciel Geolitica (anciennement PredPol) utilisé par la police de Plainfield aux Etats-Unis a montré que les prédictions de crimes étaient justes dans moins de 0,5% des cas. De plus, ces systèmes reposent souvent sur des données biaisées, entraînant des arrestations disproportionnées de minorités et des erreurs judiciaires.
La police de New York a également investi massivement dans des technologies similaires, en partenariat avec Voyager Labs, pour surveiller les comportements en ligne et prédire les crimes futurs. Cependant, ces pratiques ont été critiquées pour leur caractère invasif et leur manque de transparence, soulevant des préoccupations éthiques et juridiques.
Alors que l’Argentine s’engage dans cette nouvelle voie technologique pour combattre la criminalité, les critiques soulignent la nécessité d’un équilibre entre la sécurité et la protection des droits de l’homme. Les défis posés par les biais technologiques et les risques pour la vie privée devront être soigneusement gérés pour éviter les abus et garantir une application juste et équitable des lois.