Faudra-t-il changer de monnaie pour respecter les limites planétaires ?

1 août 2024

Le 1er août 2024, marqué comme le « jour du dépassement » de la Terre, symbolise le moment où l’humanité a consommé toutes les ressources renouvelables que notre planète peut produire en une année. Cette surconsommation chronique, qui nécessite 1,75 Terre pour satisfaire nos besoins actuels, est une alerte rouge sur notre gestion des ressources naturelles. Face à cette situation, une proposition radicale émerge : l’adoption de monnaies écologiques.

Une nouvelle approche monétaire pour une durabilité écologique

Les économistes et les penseurs écologistes poussent de plus en plus l’idée de monnaies basées sur notre empreinte écologique plutôt que sur des valeurs financières traditionnelles. La monnaie locale d’Anjou, la Muse, illustre cette initiative en favorisant des transactions qui prennent en compte l’impact écologique et social. De telles monnaies pourraient restructurer notre économie pour la rendre plus durable, en priorisant l’environnement plutôt que la croissance économique à tout prix.

L’essence de cette proposition repose sur une critique fondamentale du système monétaire actuel, où l’argent est créé par les banques privées lorsqu’elles accordent des crédits. Ce processus de création monétaire, détaché des ressources physiques depuis la fin de la convertibilité du dollar en or en 1971, alimente une croissance économique infinie et non soutenable.

« Le grand public l’ignore mais, dans le système actuel, ce n’est pas l’État qui crée la monnaie, ce sont les banques », soulignent Jézabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron dans leur ouvrage Le Pouvoir de la monnaie. Cette création monétaire, basée sur la dette, contraste avec l’idée d’une monnaie écologique, qui serait fondée sur l’empreinte écologique de chaque transaction.

Des points carbone aux monnaies hélicoptères : des idées diversifiées

Une des idées avancées est celle des « points carbone ». Chaque produit serait étiqueté avec une valeur en points carbone, et chaque citoyen disposerait d’un quota annuel de ces points. Cette méthode inciterait les consommateurs à privilégier des produits à faible empreinte carbone et pousserait les producteurs à adopter des pratiques plus écologiques.

Cependant, cette approche rencontre des critiques sévères. Jean-Michel Harribey, économiste, met en garde contre les risques de spéculation et les inégalités sociales que pourrait engendrer un tel système, en soulignant son inefficacité potentielle et son alignement sur une idéologie de marché libéral.

D’autres proposent des solutions plus structurelles, comme la création de monnaie sans dette par les banques centrales. Cette « monnaie hélicoptère » pourrait être distribuée directement aux États, entreprises et particuliers pour financer la transition écologique, sans créer de nouvelles dettes. Toutefois, cette proposition, bien que techniquement faisable, se heurte à de nombreux obstacles politiques et institutionnels.

Un Bretton Woods de la monnaie carbone

En octobre 2023, six économistes ont proposé en 2023 dans une tribune au Monde la création d’une monnaie parallèle dédiée à la décarbonation. Cette « monnaie carbone » serait distribuée équitablement à chaque habitant et réduite annuellement de 6 à 8 %, selon les objectifs climatiques du pays.

L’idée est de fixer une masse de « monnaie carbone » proportionnelle à l’empreinte climatique nationale. En France, par exemple, cela représenterait 604 millions de tonnes de CO2e, réparties en 9 000 points carbone par personne. Chaque produit serait étiqueté en euros et en points carbone, et les consommateurs utiliseraient ces points pour payer le contenu carbone de leurs achats.

Ce mécanisme simple inciterait les consommateurs à choisir des produits moins carbonés, forçant ainsi les entreprises à décarboner leurs processus de production. La monnaie carbone, fondante et non fongible, éviterait l’inflation et les distorsions de prix, tout en alignant les choix de consommation avec les impératifs climatiques.

Les économistes appellent à un nouveau Bretton Woods pour instituer ce système à l’échelle mondiale. Inspiré par la restructuration économique d’après-guerre, ce nouveau cadre pourrait répondre à l’urgence climatique actuelle en intégrant la gestion des émissions de gaz à effet de serre dans l’économie globale.

Une transition nécessaire mais complexe

La transition vers une monnaie écologique implique une redéfinition profonde de notre système monétaire et économique. « La monnaie est une institution très structurante pour l’ordre social. Si on la change, on change la société et les rapports de force en son sein », déclare Jézabel Couppey-Soubeyran. Cette transformation pourrait bouleverser les structures de pouvoir actuelles et nécessiter une volonté politique forte pour surmonter les résistances des bénéficiaires du système actuel.

Jean-Marie Harribey soulève, pour sa part, des questions cruciales sur le contrôle de la création monétaire et le rôle des banques centrales, mettant en lumière la dimension politique essentielle de cette lutte pour une économie durable.

En conclusion, alors que nous continuons de dépasser les limites planétaires, l’idée de monnaies écologiques offre une piste prometteuse pour repenser notre rapport à la consommation et à la croissance. Mais sa mise en œuvre nécessitera des réformes audacieuses et une réappropriation collective des mécanismes financiers, afin de bâtir un avenir plus durable pour notre planète.

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