French Member of Parliament and President of the ‘Rassemblement National’ (RN) group Marine Le Pen answers journalists next to MP Sebastien Chenu (L) after a debate on the draft law to control immigration at the National Assembly in Paris on December 11, 2023. (Photo by Ludovic MARIN / AFP)

Dissolution de l’Assemblée nationale : un calcul stratégique pour mettre le RN au pouvoir et le voir échouer ?

10 juin 2024

Le 9 juin, le Président de la République a pris la décision inattendue de dissoudre l’Assemblée Nationale, une manœuvre qui pourrait sembler risquée mais qui, à y regarder de plus près, révèle une stratégie politique subtile. Cette dissolution pourrait bien être conçue pour permettre au Rassemblement National (RN) d’accéder au pouvoir à court terme, avec l’objectif implicite de le confronter aux réalités de la gouvernance et de précipiter son échec lors des élections municipales et présidentielles de 2027.

Une situation de blocage politique

Depuis les élections législatives de 2022, l’Assemblée Nationale est marquée par une absence de majorité claire, rendant difficile la mise en œuvre des réformes et la gouvernance effective. Le RN, en pleine ascension, a su capter une part importante de l’électorat, mais se heurte constamment aux limites de son influence parlementaire.

La dissolution de l’Assemblée, dans ce contexte, s’inscrit comme une réponse à cette paralysie politique. En retournant aux urnes, le Président espère redistribuer les cartes du pouvoir législatif. Cependant, derrière ce choix se profile une intention plus stratégique : offrir au RN l’opportunité d’accéder au pouvoir exécutif et ainsi mettre à l’épreuve ses capacités de gouvernance.

Le RN face à l’épreuve du pouvoir : un piège calculé

Placer le RN aux commandes du gouvernement pourrait être perçu comme une prise de risque, mais il s’agit probablement d’une mise en scène calculée. En confiant la gestion du pays au RN, le Président semble chercher à mettre en lumière les limites et les contradictions de ce parti.

Historiquement, les partis populistes ou d’extrême droite, lorsqu’ils accèdent au pouvoir, rencontrent souvent des difficultés à répondre aux exigences de la gestion publique, à cause de leurs politiques parfois simplistes ou contradictoires. Le RN, en position de responsabilité, sera contraint de prendre des décisions pragmatiques et de naviguer dans les complexités administratives et diplomatiques, ce qui pourrait éroder sa popularité et révéler ses faiblesses.

Dans ce scénario, la gauche, traditionnellement l’un des principaux contrepoids au RN, se trouve dans une position affaiblie et divisée. Les luttes intestines et les divergences idéologiques entre les diverses factions de gauche ont fragmenté leur influence, les rendant incapables de constituer une opposition unie et efficace. Cette division au sein de la gauche joue en faveur de la stratégie du Président, car elle élimine un obstacle potentiel à la mise en œuvre de son plan. Sans une opposition de gauche cohérente et puissante pour contrer le RN, ce dernier peut plus facilement accéder au pouvoir, confirmant ainsi la tactique présidentielle d’exposer les faiblesses du RN par l’exercice de la gouvernance.

Des précédents récents historiques : Chirac, Balladur et Jospin

L’histoire politique française montre que la position de Premier ministre peut être une arme à double tranchant lorsqu’il s’agit de briguer la présidence. Jacques Chirac en 1988, alors Premier ministre sous la cohabitation avec François Mitterrand, n’a pas réussi à s’imposer face à ce dernier lors de l’élection présidentielle. De même, Édouard Balladur, Premier ministre entre 1993 et 1995, a vu ses espoirs présidentiels s’évanouir face à Jacques Chirac lors de l’élection de 1995. Enfin, Lionel Jospin, Premier ministre de 1997 à 2002, a subi une défaite surprise dès le premier tour de la présidentielle de 2002, face à Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Ces exemples soulignent que, même en étant à la tête du gouvernement, les défis de la campagne présidentielle et les attentes de l’électorat peuvent révéler des vulnérabilités, ce qui pourrait également s’appliquer au RN s’il venait à gouverner.

Préparer le terrain pour 2027

En exposant le RN aux défis du pouvoir, le Président prépare le terrain pour les prochaines échéances électorales. En 2027, lors des élections municipales et présidentielles, le RN pourrait être affaibli par une gestion perçue comme inadéquate ou inefficace. Cette période de gouvernement pourrait servir d’avertissement pour l’électorat, qui pourrait alors se tourner vers des alternatives plus éprouvées.

Pendant ce temps, les partis traditionnels auront l’opportunité de se restructurer, de renouveler leur programme et de reconquérir la confiance de l’électorat. Ainsi, lors des élections de 2027, ils pourraient se présenter comme des options plus solides et expérimentées face à un RN affaibli par ses propres erreurs de gouvernance.

Cette dissolution apparaît donc comme un pari stratégique, visant à démontrer les limites du RN en le confrontant à la réalité du pouvoir. Si cette manœuvre comporte des risques – notamment une gouvernance difficile à court terme – elle pourrait aussi affaiblir durablement le RN, facilitant ainsi un retour en force des partis traditionnels.

La décision du Président de dissoudre l’Assemblée Nationale s’inscrit dans une stratégie qui va au-delà des enjeux immédiats. En confrontant le RN à ses propres contradictions et à l’épreuve du pouvoir, le Président espère fragiliser ce parti à long terme, offrant une opportunité de renouvellement et de revitalisation des forces politiques traditionnelles.

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