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Travailleurs du clic au Kenya : « Nous ne voulons plus de ces emplois qui nous détruisent »

25 mai 2024

À l’aube de la rencontre entre le président américain Joe Biden et le président kényan William Ruto, une sombre réalité vient assombrir les festivités du 60e anniversaire des relations diplomatiques entre les États-Unis et le Kenya. Une lettre, signée par 97 étiqueteurs de données, modérateurs de contenu et travailleurs de l’intelligence artificielle (IA) basés à Nairobi, révèle les abus systémiques et l’exploitation dont ils sont victimes de la part des géants de la tech américains.

Une exploitation dissimulée derrière l’innovation technologique

Les entreprises technologiques américaines, telles que Facebook, ScaleAI et OpenAI, ont recours à la sous-traitance au Kenya, profitant de la main-d’œuvre locale pour effectuer des tâches ardues et souvent traumatisantes. Sous couvert d’innovation et de modernité, ces multinationales exploitent une main-d’œuvre vulnérable, contournant les lois du travail locales et les standards internationaux.

« Nos conditions de travail s’apparentent à de l’esclavage moderne« , écrivent 97 travailleurs dans une lettre adressée à Joe Biden. Leurs témoignages font état de journées de plus de huit heures passées à modérer des contenus violents et choquants, allant de la pornographie à la violence extrême, pour un salaire dérisoire de moins de 2 dollars de l’heure.

Cette tâche, essentielle pour maintenir les plateformes comme Facebook ou TikTok sûres pour les utilisateurs, est effectuée au détriment de la santé mentale et physique des employés, qui souffrent souvent de troubles de stress post-traumatique.

Des revendications pour des conditions de travail dignes

Face à l’exploitation et aux abus dont ils sont victimes, les travailleurs de l’IA à Nairobi ont décidé de ne plus rester silencieux. Ils ont adressé quatre demandes principales au président Joe Biden, espérant que ces revendications seront entendues et prises en compte dans les futures négociations commerciales entre les États-Unis et le Kenya.

Les travailleurs réclament d’être inclus dans les discussions commerciales entre les deux nations. Ils soulignent l’importance de publier les projets de texte des accords à venir afin de permettre une participation active et informée des parties prenantes directement concernées. Cette transparence est essentielle pour garantir que les voix des travailleurs, souvent les plus touchés par les décisions commerciales, soient entendues et respectées. Ils insistent sur le fait que leur expérience et leurs perspectives sont indispensables pour construire des accords commerciaux justes et équitables.

Une des principales préoccupations des travailleurs est la répression syndicale systématique dans le secteur technologique. Ils demandent des dispositions robustes dans les accords commerciaux pour prévenir cette répression et pour s’assurer que les entreprises américaines opérant au Kenya respectent les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ces conventions incluent le droit à la liberté syndicale et la protection du droit d’organisation, des éléments cruciaux pour permettre aux travailleurs de défendre leurs droits et d’améliorer leurs conditions de travail sans craindre des représailles.

Les travailleurs exigent que les entreprises américaines puissent être tenues responsables devant les tribunaux américains pour leurs opérations illégales à l’étranger, notamment en matière de droits humains et de droits du travail. Actuellement, ces entreprises bénéficient souvent d’une impunité quasi totale pour les abus commis hors des frontières américaines. En permettant que des actions en justice puissent être menées aux États-Unis, les travailleurs espèrent instaurer un cadre de responsabilité qui dissuadera les entreprises de violer les droits des travailleurs et de les traiter de manière inhumaine.

Enfin, les travailleurs insistent pour que toutes les négociations commerciales respectent la Constitution et la souveraineté du Kenya. Ils soulignent que les accords commerciaux ne doivent pas être utilisés comme des outils de domination économique qui sapent les institutions locales et les lois nationales. Le respect de la souveraineté est fondamental pour garantir que les bénéfices des partenariats commerciaux soient équitablement partagés et qu’ils contribuent réellement au développement économique et social du Kenya.

Une indignation légitime face à l’impunité des géants de la tech

La lettre des travailleurs kényans dénonce également l’impunité des entreprises de la Silicon Valley. Meta (anciennement Facebook), par exemple, a été condamné à payer les salaires des modérateurs de contenu, mais un an après le verdict, les travailleurs attendent toujours leur dû. Lorsque les modérateurs de Facebook ont tenté de s’organiser en syndicat, ils ont été purement et simplement licenciés, et les opérations déplacées au Ghana pour échapper à la juridiction kényane.

L’exemple de ScaleAI est tout aussi révélateur : en mars 2024, leur société de sous-traitance, Remotasks, a quitté le marché africain du jour au lendemain, laissant des travailleurs sans emploi et sans salaires impayés.

Un appel à l’action pour Joe Biden

Les travailleurs de l’IA de Nairobi espèrent que le président Biden, qui a souvent affirmé son engagement envers les droits des travailleurs et un commerce centré sur ces derniers, allant jusqu’à manifester avec des salariés en grève aux Etats-Unis, écoutera leur appel. « Vous avez le pouvoir de stopper notre exploitation par les entreprises américaines, de nettoyer ce secteur et de nous offrir des conditions de travail justes et dignes« , écrivent-ils.

Alors que le Kenya se positionne comme un hub technologique mondial, les emplois créés ne doivent pas être synonymes de souffrance et de dégradation humaine. Le message des travailleurs est clair : ils veulent des emplois qui respectent leur dignité et leur santé, et non des emplois qui les détruisent.

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