Forrest Gump est-il le pire film de droite ?

19 mai 2024

« Forrest Gump » est un film emblématique sorti en 1994, qui a remporté un succès critique et commercial immense, raflant six Oscars dont celui du meilleur film et du meilleur acteur pour Tom Hanks. Réalisé par Robert Zemeckis, ce film est souvent célébré pour son histoire touchante et ses personnages mémorables. Cependant, au-delà de sa façade émotive, le film véhicule des messages sous-jacents qui reflètent une idéologie très conservatrice.

Une vision idéalisée de l’histoire américaine

« Forrest Gump » présente les décennies passées, notamment les années 1950 à 1980, sous un jour très favorable. Le film se concentre principalement sur les aspects positifs et nostalgiques de l’histoire américaine, en mettant en avant des moments emblématiques tels que la guerre du Vietnam, les premiers pas sur la lune et la culture pop des années 60 et 70. Cette vision idéalisée omet souvent les aspects négatifs et les conflits sociaux de ces époques, offrant une version édulcorée et simplifiée de l’histoire.

Le film montre un Forrest qui participe à des événements historiques de manière fortuite, sans véritable impact de sa part, ce qui donne l’impression que ces périodes étaient harmonieuses et sans problèmes majeurs. En ignorant les complexités et les luttes de ces époques, « Forrest Gump » renforce une image nostalgique du passé qui aligne davantage avec une vision conservatrice de l’histoire américaine. Cette approche favorise une interprétation où les périodes passées sont perçues comme étant meilleures et plus simples que le présent, un trope souvent utilisé dans les récits conservateurs.

Le film minimise les luttes sociales et les tensions raciales qui ont marqué les décennies qu’il traverse. Par exemple, les mouvements pour les droits civiques et les protestations contre la guerre du Vietnam sont à peine évoqués, et lorsqu’ils le sont, c’est souvent de manière superficielle ou biaisée. Forrest, en tant que personnage principal, traverse ces périodes turbulentes sans jamais vraiment en être affecté ou s’engager dans ces luttes. Cette approche tend à effacer l’importance des mouvements sociaux et des combats pour l’égalité, contribuant à une narration qui favorise le statu quo et évite de questionner les structures de pouvoir établies.

Forrest semble naviguer à travers des événements historiques complexes sans jamais les comprendre pleinement ni en être transformé. Par exemple, sa rencontre avec les Black Panthers est brève et caricaturale, réduisant un mouvement significatif à un simple épisode comique. De plus, les conséquences de la guerre du Vietnam sont principalement abordées à travers le personnage de Lieutenant Dan, qui retrouve sa dignité en acceptant les valeurs traditionnelles, plutôt qu’en critiquant la guerre elle-même. Ce traitement superficiel des luttes sociales renforce une perspective conservatrice qui valorise l’ordre établi et minimise les conflits sociaux et politiques.

Personnages principaux et valeurs conservatrices

Forrest Gump, interprété par Tom Hanks, incarne des valeurs traditionnelles telles que l’innocence, l’obéissance et la persévérance. Son personnage, bien que limité intellectuellement, est profondément moral et honnête. Il suit les conseils de sa mère, qui lui enseigne des valeurs simples mais solides, telles que « la vie, c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. » Cette phrase résume sa philosophie de vie : accepter les défis sans se plaindre et toujours faire de son mieux.

L’obéissance de Forrest est également un trait central. Qu’il s’agisse de suivre les ordres dans l’armée ou de courir parce qu’on lui a dit de courir, Forrest ne remet jamais en question les instructions qu’il reçoit. Cette obéissance est récompensée par des succès inattendus : il devient un héros de guerre, reçoit la Médaille d’honneur du Congrès, et réussit dans le monde des affaires avec une simplicité désarmante. Le film semble ainsi véhiculer l’idée que le respect des valeurs et des autorités établies mène au succès et au bonheur.

Forrest est également l’incarnation de la persévérance. Malgré ses défis physiques et mentaux, il ne cesse jamais de poursuivre ce qu’il entreprend, qu’il s’agisse de courir à travers le pays ou de jouer au ping-pong. Cette persévérance est présentée comme une vertu traditionnelle, récompensée par la réussite et l’admiration des autres. Ainsi, Forrest Gump devient un modèle de vertu traditionnelle, promouvant l’idée que le succès vient à ceux qui suivent les règles et persévèrent.

Le film ne montre jamais Forrest confronté à des obstacles insurmontables ou à des discriminations sociales significatives, ce qui renforce l’idée que le succès est accessible à tous ceux qui suivent les règles et travaillent dur. Cette perspective ignore les réalités complexes de la société, où de nombreux facteurs externes influencent la réussite individuelle. En mettant en avant la réussite personnelle de Forrest, le film renforce la croyance en une société méritocratique où l’effort individuel est la clé du succès.

Jenny, jouée par Robin Wright, représente un contraste frappant avec Forrest et incarne les conséquences négatives de la contre-culture des années 60 et 70. Dès son enfance, Jenny aspire à échapper à une vie difficile marquée par les abus, et elle cherche la liberté dans les mouvements contre-culturels. Elle s’implique dans des manifestations contre la guerre, s’immerge dans la culture hippie et adopte un mode de vie hédoniste. Cependant, ses choix de vie alternatifs sont constamment présentés sous un jour négatif. Jenny tombe dans l’usage de drogues, se retrouve dans des relations abusives, et mène une vie de déchéance et de souffrance. Chaque tentative de s’éloigner des valeurs traditionnelles semble la mener à davantage de douleur et de perte. Le film la punit pour ses choix en la plaçant dans des situations de danger et de désespoir, renforçant l’idée que la contre-culture est destructrice.

Jenny finit par revenir vers Forrest, symbolisant une sorte de rédemption et de retour aux valeurs traditionnelles. Elle trouve un semblant de paix en acceptant l’amour et la stabilité que Forrest offre, mais ce retour est tragiquement bref, puisqu’elle meurt peu après, victime d’une maladie que beaucoup interprètent comme une métaphore des conséquences de son mode de vie passé. Le film utilise son arc pour démontrer que les valeurs non conventionnelles et les choix de vie alternatifs mènent à la destruction, tandis que le retour aux valeurs traditionnelles offre une rédemption, bien que tardive.

Des critiques dithyrambiques

 Photo Takashi Seida

« Forrest Gump » a été largement acclamé par la critique et le public lors de sa sortie en 1994. Le film a remporté six Oscars, dont ceux du meilleur film, du meilleur réalisateur pour Robert Zemeckis, et du meilleur acteur pour Tom Hanks. Les critiques ont salué la performance de Hanks, la réalisation de Zemeckis et l’innovation des effets spéciaux qui ont intégré Forrest dans des séquences historiques réelles. Le public a été touché par l’histoire émotive de Forrest et son parcours extraordinaire, faisant de ce film un succès commercial phénoménal. Cependant, certains critiques ont noté un certain manque de profondeur dans la représentation des événements historiques et sociaux.

Les interprétations politiques de « Forrest Gump » ont considérablement varié parmi les spectateurs. Certains y ont vu une célébration des valeurs américaines traditionnelles comme clés du succès personnel. Cette perspective a souvent été perçue comme alignée avec une idéologie conservatrice qui valorise la méritocratie et la stabilité sociale.

D’autres spectateurs ont pointé du doigt le manque de critique des injustices sociales et des inégalités structurelles abordées dans le film. Ils ont souligné que le parcours de Forrest, qui réussit par la simple vertu de ses valeurs, ignore les réalités complexes des luttes sociales et politiques des décennies qu’il traverse. En évitant de traiter ces sujets de manière approfondie, le film est perçu par certains comme une œuvre qui banalise les efforts collectifs.

Par exemple, le film aurait pu approfondir le traitement des mouvements pour les droits civiques, en montrant non seulement la lutte pour l’égalité des droits mais aussi les obstacles systémiques auxquels ces mouvements ont dû faire face. Plutôt que de présenter la guerre du Vietnam principalement à travers les expériences individuelles de Forrest et de Lieutenant Dan, le film aurait pu explorer les critiques de cette guerre et les impacts dévastateurs sur les populations locales et les soldats.

De même, le film aurait pu inclure des personnages secondaires qui représentent diverses luttes sociales, comme les mouvements féministes pour montrer une image plus complète et nuancée de l’époque. En incluant des critiques directes des structures de pouvoir économiques et politiques, « Forrest Gump » aurait pu encourager les spectateurs à réfléchir sur les moyens de changer ces structures pour promouvoir une société plus juste et équitable.

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