À une époque où les économies mondiales se débattent avec des dettes croissantes et des inégalités galopantes, la Théorie Monétaire Moderne (TMM) refait surface, promettant une révolution dans la pensée économique traditionnelle. Née des travaux de penseurs comme Warren Mosler et popularisée par des économistes tels que Stephanie Kelton, la TMM suggère que les États souverains en monnaie peuvent financer leurs dépenses bien au-delà des limites imposées par les recettes fiscales traditionnelles, sans courir nécessairement le risque d’hyperinflation. Alors que les critiques de cette théorie persistent, le contexte économique actuel offre un terrain fertile pour redéfinir les règles de la finance publique. Les défis du changement climatique et de la sécurité sociale, exacerbés par la crise sanitaire mondiale, ont ravivé l’intérêt pour la TMM comme une possible clé de voûte pour une politique économique audacieuse et innovante.
Les principaux fondements de la TMM
La TMM repose sur des principes qui remettent en question des notions économiques bien établies, notamment celles concernant la souveraineté monétaire et le financement des dépenses publiques.
La souveraineté monétaire est la capacité d’un État à contrôler sa propre monnaie, ce qui implique qu’il émet sa devise sans dépendance à une monnaie étrangère ou à des standards comme l’or. Pour les économistes de la TMM, la souveraineté monétaire est essentielle car elle libère théoriquement un pays des contraintes financières traditionnelles. Un pays souverain en matière de monnaie ne peut pas faire faillite en sa propre monnaie; il peut toujours produire de l’argent supplémentaire pour payer ses dettes. Cette perspective est radicalement différente de celle de la théorie économique conventionnelle, qui met en garde contre les risques de l’endettement excessif et de ses conséquences potentielles comme l’inflation ou la perte de confiance des investisseurs.
Selon la TMM, un gouvernement qui contrôle sa monnaie peut financer toutes les dépenses nécessaires pour atteindre et maintenir le plein emploi et répondre aux besoins sociaux, sans avoir besoin de collecter une quantité équivalente en recettes fiscales. L’idée est que les déficits ne sont pas en soi problématiques tant qu’ils ne causent pas d’inflation excessive. Le gouvernement peut émettre de la monnaie pour couvrir tout déficit, un processus qui n’est pas intrinsèquement inflationniste selon la TMM, à condition que l’économie opère en dessous de sa capacité maximale.
Cependant, la TMM n’ignore pas l’inflation, qui peut survenir si la demande dépasse l’offre de biens et services. Pour contrer l’inflation, la TMM propose l’utilisation de la politique fiscale (par exemple, augmenter les impôts ou réduire les dépenses) plutôt que de se fier principalement à la politique monétaire (comme manipuler les taux d’intérêt), qui est l’approche traditionnelle.
Ces principes de la TMM offrent un cadre pour envisager une politique économique qui pourrait théoriquement éliminer le chômage persistant et financer des projets publics ambitieux comme le renforcement des infrastructures ou la réponse aux défis climatiques sans la contrainte des limites budgétaires traditionnelles.
Arguments en faveur de la TMM
La TMM offre plusieurs arguments convaincants en sa faveur, particulièrement en ce qui concerne sa capacité à combattre le chômage et son potentiel de financement pour les politiques publiques.
L’un des principaux atouts de la TMM est sa proposition d’un programme de travail garanti (Job Guarantee program). Ce programme vise à fournir un emploi à salaire décent à tout citoyen qui est prêt et capable de travailler, mais qui ne trouve pas d’emploi dans le secteur privé. Cette politique serait financée par le gouvernement, qui, selon la TMM, ne devrait pas être limité par les recettes fiscales traditionnelles mais pourrait utiliser sa capacité à créer de la monnaie. Le programme de travail garanti agirait comme un stabilisateur économique automatique, réduisant le chômage lors des ralentissements économiques et aidant à contrôler l’inflation lors des périodes de surchauffe économique. En effet, en offrant des emplois à salaire stable, le programme permettrait de maintenir le pouvoir d’achat et de stimuler la demande globale, soutenant ainsi l’activité économique.
Un autre argument en faveur de la TMM est le potentiel qu’elle offre pour financer de manière plus ambitieuse les services publics essentiels tels que l’éducation et la santé. Avec la TMM, le financement de ces services ne serait plus restreint par les déficits budgétaires ou la nécessité de trouver des sources de financement traditionnelles. Le gouvernement pourrait émettre de la monnaie pour couvrir les coûts nécessaires à l’amélioration et à l’expansion des services publics, sans la contrainte des limites budgétaires traditionnelles. Cela permettrait d’investir dans des infrastructures de santé et d’éducation plus robustes, d’améliorer la qualité des services offerts à la population et de répondre plus efficacement aux besoins sociaux.
Ces arguments font valoir que la TMM pourrait être une solution transformative pour les défis économiques et sociaux contemporains, en offrant des outils novateurs pour la politique économique qui pourraient améliorer la stabilité et la qualité de vie. Toutefois, ils sont accompagnés de débats intenses et d’une analyse critique de leur faisabilité et des risques potentiels, en particulier en termes de gestion de l’inflation et de la confiance en la monnaie nationale.
Critiques et débats
La TMM a suscité un vif débat parmi les économistes, avec des critiques centrées principalement sur les risques d’inflation et les préoccupations relatives à la discipline budgétaire.
L’une des critiques les plus fréquentes de la TMM est le risque potentiel d’inflation. Les opposants à la TMM soutiennent que l’impression excessive de monnaie par le gouvernement pour financer des déficits publics pourrait entraîner une inflation incontrôlable. Historiquement, des pays ayant connu des périodes de forte émission monétaire, comme le Zimbabwe dans les années 2000 ou l’Allemagne de la République de Weimar, ont vu leur économie dévastée par l’hyperinflation. Les critiques arguent que, même si la TMM prétend utiliser la politique fiscale pour contrôler l’inflation, la réalité politique pourrait rendre difficile l’augmentation des impôts ou la réduction des dépenses en temps opportun pour éviter une surchauffe de l’économie.
La discipline budgétaire est une autre préoccupation majeure exprimée par les critiques de la TMM. Ils craignent que la capacité de financer des dépenses par la création monétaire puisse conduire à une gestion laxiste des finances publiques, avec peu de motivations pour maintenir un budget équilibré ou pour une allocation efficace des ressources. Selon cette perspective, sans la contrainte de devoir équilibrer le budget, les gouvernements pourraient être tentés de dépenser de manière excessive, menant à des déficits massifs qui pourraient avoir des conséquences économiques à long terme, même sans inflation immédiate.
Les économistes traditionnels, qui s’appuient souvent sur le cadre keynésien ou néoclassique, voient la TMM comme une simplification excessive des complexités de la politique monétaire et fiscale. Ils soulignent que la confiance dans la monnaie est cruciale et que cette confiance pourrait être érodée si les marchés perçoivent que le gouvernement finance ses dépenses par une création monétaire excessive. Cela pourrait entraîner une augmentation des taux d’intérêt et une dévaluation de la monnaie sur les marchés internationaux.
L’expérience de certains pays qui ont adopté des politiques perçues comme similaires à celles préconisées par la TMM offre des résultats mitigés. Par exemple, le Japon, qui a maintenu des déficits budgétaires élevés et une politique monétaire très accommodante depuis les années 1990, n’a pas connu d’hyperinflation mais lutte contre la déflation et une croissance économique stagnante. Ces exemples sont souvent utilisés pour argumenter contre la viabilité à long terme de la TMM.
A l’inverse, durant la crise financière de 2008 et la pandémie de COVID-19 en 2020, les États-Unis ont adopté des mesures qui reflètent certains principes de la TMM. Le gouvernement fédéral a significativement augmenté ses dépenses sans augmenter proportionnellement les impôts, se finançant par des déficits largement couverts par la création monétaire de la Réserve Fédérale. Cela a inclus des plans de sauvetage massifs et des injections de liquidités qui ont aidé à stabiliser l’économie à court terme sans provoquer d’inflation immédiate.
Implications politiques et sociales
La TMM possède des implications politiques et sociales profondes qui pourraient radicalement transformer les politiques fiscales et sociales des États qui l’adoptent. Les répercussions sur les inégalités et la répartition des richesses sont particulièrement significatives.
La TMM offre un cadre dans lequel les gouvernements peuvent financer des projets sans la contrainte traditionnelle des recettes fiscales. Cela pourrait permettre un investissement accru dans des domaines socialement bénéfiques tels que la santé, l’éducation, l’infrastructure et la protection de l’environnement, qui sont souvent limités par des préoccupations budgétaires. En théorie, cela permettrait une expansion significative des services publics, contribuant à améliorer le niveau de vie général.
Cependant, la TMM nécessite également une gestion prudente de la politique fiscale pour contrôler l’inflation. Cela pourrait signifier l’utilisation de taxes non pas principalement comme source de financement, mais comme un outil pour retirer de l’argent de la circulation et réguler la demande globale. Cette approche flexible de la fiscalité pourrait permettre une politique économique plus réactive et ciblée, adaptée aux besoins et aux circonstances économiques changeantes.
Un des arguments les plus puissants en faveur de la TMM est son potentiel à réduire les inégalités. En permettant au gouvernement de financer directement des programmes d’emploi garanti et des services sociaux, la TMM pourrait aider à réduire le chômage structurel et à offrir des opportunités économiques dans des régions défavorisées ou délaissées par le secteur privé. De plus, en concentrant les dépenses gouvernementales sur des programmes qui bénéficient directement aux couches les moins aisées de la société, la TMM pourrait contribuer à une redistribution plus équitable des richesses.
Néanmoins, les critiques soulignent que la mise en œuvre de la TMM sans contrôles appropriés pourrait également exacerber les inégalités si les dépenses gouvernementales ne sont pas bien ciblées ou si l’inflation érode la valeur réelle des revenus des ménages à faible revenu. De plus, l’utilisation de la fiscalité comme outil de contrôle de l’inflation pourrait, si elle n’est pas bien conçue, placer un fardeau disproportionné sur les moins riches, qui sont souvent plus sensibles aux hausses de prix des biens de consommation essentiels.
La TMM ouvre la porte à de nouvelles possibilités audacieuses pour la gestion économique et sociale, en offrant des outils pour une politique fiscale innovante et un investissement public accru sans les contraintes traditionnelles des déficits budgétaires. Avec son potentiel de financer des initiatives ambitieuses en éducation, santé, et infrastructure, la TMM promet de lutter efficacement contre le chômage et d’améliorer la qualité de vie. Bien que les risques d’inflation et les défis de mise en œuvre nécessitent une gestion prudente et réfléchie, les avantages potentiels pour une société plus équitable et prospère sont considérables. La poursuite des débats et des recherches enrichira notre compréhension et optimisera l’application de la TMM, guidant ainsi les nations vers un avenir économique plus résilient et inclusif.