Concept d’empreinte carbone : manipulation des pétroliers pour échapper à leur responsabilité ?

28 avril 2024

L’empreinte carbone est une mesure de la quantité de gaz à effet de serre émise par une entreprise, un produit ou un individu. Celle-ci est devenue de plus en plus populaire ces dernières années dans le cadre de la lutte contre le changement climatique… Au point d’être récupérée par l’industrie pétrolière pour rediriger vers les citoyens la responsabilité dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

Vous ne le savez sans doute pas, mais le concept d’empreinte carbone est devenu populaire dans les années 2000, notamment grâce à des compagnies pétrolières comme British Petroleum (BP). Cette dernière n’a pas hésité à investir plus de 370 millions de dollars entre 2005 et 2007 pour en faire une arme redoutable au service de sa communication publique et de son projet industriel. Une stratégie également adoptée par le géant ExxonMobil. Leur objectif principal : transférer vers le consommateur — et donc vers le citoyen — la responsabilité de la lutte contre le réchauffement climatique. Une stratégie déjà utilisée en son temps par l’industrie du tabac. Après tout, qui pourrait les blâmer d’avoir prévenu les consommateurs de la dangerosité de tel ou tel comportement et de le corriger pour son propre bien ? Cette manipulation de l’opinion publique soulève des questions politiques et sociales importantes.

En déplaçant la responsabilité de la lutte contre le réchauffement climatique des entreprises et des gouvernements vers les consommateurs individuels, cette stratégie peut perpétuer les inégalités socio-économiques et renforcer les structures de pouvoir existantes. Les conséquences de cette manipulation peuvent se faire sentir de manière disproportionnée sur les populations les plus vulnérables, qui ont souvent moins de ressources pour faire face aux impacts du changement climatique.

Une stratégie dénoncée par Naomi Oreskes et Geoffrey Suppran dans une étude parue en 2021 sur le site One Earth“L’un des discours publics dominants sur le changement climatique est que “nous sommes tous à blâmer”. Un autre est que la société doit inévitablement dépendre des combustibles fossiles à l’avenir. (…) Nous montrons que l’une des sources de ces arguments est la propagande de l’industrie des combustibles fossiles. Les publicités d’ExxonMobil se sont efforcées de rejeter la responsabilité du réchauffement climatique sur les consommateurs plutôt que sur l’industrie pétrolière. Elle a également affirmé que le changement climatique était un “risque” plutôt qu’une réalité, que les énergies renouvelables n’étaient pas fiables (…). Nous montrons qu’une grande partie de cette rhétorique est similaire à celle utilisée par l’industrie du tabac. Notre recherche suggère (…) que l’industrie pétrolière utilise la micro-politique subtile du langage pour minimiser son rôle dans la crise climatique et pour continuer à saper les litiges, la réglementation et l’activisme en matière de climat.”

Cette stratégie risquée risque de miner la confiance du public dans la capacité des institutions à prendre des mesures efficaces pour atténuer les effets du réchauffement climatique. Cela pourrait compromettre le soutien public à des politiques ambitieuses de réduction des émissions de carbone et de transition vers des modes de vie durables.

Autrement dit, l’industrie pétrolière a utilisé le concept d’empreinte carbone pour se dédouaner également de tout engagement en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique, comme le rappelle le site Bon Pote : “En juillet 2000, BP a dépensé 200 millions de dollars de publicités pour annoncer leur changement de logo et slogan “Beyond Petroleum” (au-delà du pétrole). Un nouvel horizon, où BP investirait dans les énergies renouvelables et sortirait progressivement des énergies fossiles. Nous connaissons la suite. BP a continué de lancer de nouveaux projets fossiles partout dans le monde en y investissant des milliards (…) Au milieu des années 2000, “British Petroleum annonce un plan pour baisser ses émissions de 4 millions de tonnes sur les 4 prochaines années… alors qu’encore une fois, leurs investissements dans les énergies fossiles et les émissions de CO2 ont prouvé par la suite qu’ils ont fait tout le contraire. En 2018, BP a investi 2,3 % de son budget dans les énergies renouvelables.”

Face à cette manipulation de l’opinion publique, de nombreuses organisations non gouvernementales et militants environnementaux ont lancé des initiatives visant à contrer cette stratégie et à promouvoir une véritable responsabilité des entreprises et des gouvernements dans la réduction des émissions de carbone. Ces initiatives comprennent des campagnes de sensibilisation du public, des actions en justice contre les entreprises polluantes et des efforts de lobbying pour des politiques plus strictes en matière de protection de l’environnement. Ces contre-mesures soulignent l’importance de la mobilisation citoyenne et de l’action collective pour faire face aux défis du changement climatique.

La stratégie des pétroliers a également été utilisée par de nombreux pays à travers le monde. Elle a l’avantage de les dédouaner elles aussi d’engager les réformes structurelles nécessaires pour faire face au réchauffement climatique. En juillet 2022, le gouvernement français demandait “un effort” aux français pour économiser l’énergie. Comment ? En coupant le wifi, baissant la climatisation, ou encore en éteignant la lumière… Un appel aux “petits gestes du quotidien” qui permet au gouvernement de ne pas engager les réformes systémiques nécessaires… Lors d’un point presse à l’Elysée, Olivier Véran porte-parole du gouvernement précisait : “Ces gestes du quotidien ont un très fort impact sur notre consommation énergétique. C’est bon pour nos réserves et évidemment pour la planète.

C’est ce qui s’appelle faire d’une pierre deux coups.

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