Emmanuel Macron ou la théorie du chaos permanent

27 août 2024

Depuis son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron semble avoir cultivé une méthode de gouvernance singulière, une méthode qui repose sur ce que l’on pourrait appeler la « théorie du chaos permanent ». Ce concept, qui suggère que Macron non seulement navigue habilement dans les crises, mais qu’il les utilise aussi pour renforcer son pouvoir, trouve ses racines dans plusieurs événements marquants de son mandat.

Une approche disruptive de la politique

Dès ses débuts, Emmanuel Macron s’est positionné comme un « outsider », quelqu’un qui bouleverse les codes traditionnels de la politique. Sa campagne de 2017, menée sous la bannière du mouvement En Marche, a déstabilisé les partis traditionnels de droite et de gauche. En fusionnant souvent des idées de ces deux camps, Macron a semé la confusion parmi ses adversaires et même parmi ses soutiens. En politique intérieure, cela s’est traduit par des réformes rapides et souvent controversées, touchant à des domaines aussi sensibles que le droit du travail, la réforme des retraites, et la transition écologique.

Pour Macron, le changement doit être constant et radical. En conséquence, il a instauré une forme de gouvernance où l’on semble osciller entre réformes éclairs et réponses aux crises imprévisibles. Cette méthode a permis de maintenir ses opposants dans un état de déséquilibre permanent, incapables de prédire ses prochains mouvements. Mais cette instabilité contrôlée a aussi eu pour effet de cristalliser une opposition parfois virulente, comme en témoignent les mouvements des Gilets jaunes ou les grèves massives contre la réforme des retraites.

Les dernières semaines ont été révélatrices de cette dynamique chaotique. Selon un récent article de Libération, la situation à Matignon s’apparente à un « bazar sans nom », provoqué par les initiatives et décisions du Président lui-même. À la recherche constante d’équilibre entre des forces politiques et sociales opposées, Emmanuel Macron semble avoir délibérément choisi de maintenir une forme de désordre au sein de son propre gouvernement. 

Ce chaos organisé au sommet de l’État traduit une méthode de gouvernance qui repose sur la déstabilisation des structures établies. En multipliant les initiatives contradictoires et en poussant ses ministres à jongler avec des consignes parfois opposées, Macron semble vouloir garder la main sur l’action gouvernementale, au détriment de son Premier ministre. Toutefois, cette instabilité a un coût : une érosion progressive de la cohésion gouvernementale et un climat d’incertitude qui inquiète autant ses soutiens que ses opposants.

Le maître du « en même temps », vraiment ?

L’un des aspects les plus caractéristiques de la présidence Macron est sa capacité à incarner plusieurs positions à la fois, ce qu’il appelle le « en même temps ». Cette approche a été à la fois un atout et une source de confusion. Par exemple, en voulant être à la fois pro-européen et critique de certaines politiques de l’UE, Macron a rendu ses actions difficiles à cataloguer.

Le « en même temps » devient ainsi une stratégie de gouvernance qui relève presque du paradoxe : Macron cultive le flou, brouille les frontières idéologiques et, en conséquence, demeure insaisissable. Cette méthode lui a permis de s’adapter aux crises, qu’elles soient sanitaires avec la pandémie de Covid-19, géopolitiques avec la guerre en Ukraine, ou sociales avec le mouvement des gilets jaunes. Mais elle a également alimenté une forme d’angoisse collective, où le citoyen peine à discerner un cap clair pour le pays.

Car le chaos n’est pas sans risques. À force de maintenir un équilibre précaire entre des forces opposées, Emmanuel Macron s’expose à l’éventualité de perdre le contrôle. Le mécontentement grandissant d’une partie de la population, l’érosion de la confiance envers les institutions, et la montée des extrêmes sont autant de signes d’un système sous tension. La multiplication des crises, parfois gérées de manière erratique, renforce cette impression d’un pays en permanence sur le fil du rasoir.

En politique internationale, cette théorie du chaos trouve également son écho. Macron a multiplié les initiatives diplomatiques audacieuses, souvent en prenant des positions surprenantes, voire contradictoires, comme en témoigne sa politique vis-à-vis de la Russie, qu’il ne souhaite pas voir humilié, ou de la Chine.

Un avenir incertain

Les dernières élections législatives ont plongé la France dans une situation politique extrêmement complexe et chaotique. Aucun parti ou coalition n’a réussi à obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale, ce qui a conduit à un blocage institutionnel inédit. La coalition de gauche, le Nouveau Front Populaire (NFP), a remporté le plus grand nombre de sièges, mais sans atteindre la majorité nécessaire pour gouverner seul. De son côté, la coalition présidentielle Ensemble a subi une défaite importante, ne parvenant pas à dépasser les 163 sièges, un recul significatif par rapport aux élections précédentes.

Face à cette situation, la recherche d’un ou d’une Première ministre s’est transformée en un casse-tête insoluble pour Emmanuel Macron, seul fautif de cette situation. Le Président a demandé à Gabriel Attal de rester en poste en tant que Premier ministre par intérim, tandis que les discussions pour trouver un successeur se poursuivent sans succès. Les tentatives pour former une coalition stable se heurtent à des divergences profondes entre les partis, rendant difficile l’émergence d’une figure consensuelle capable de prendre la tête du gouvernement. Cette impasse a exacerbé la fatigue des Français, déjà éprouvés par des années de gouvernance marquée par l’instabilité et les crises répétées​

La « théorie du chaos permanent » d’Emmanuel Macron pose une question fondamentale : jusqu’à quand cette stratégie peut-elle tenir ? Alors que le Président entame la deuxième moitié de son second mandat, les défis s’accumulent. L’équilibre instable sur lequel repose son pouvoir pourrait bien basculer si la lassitude, l’épuisement politique ou une crise majeure venaient à déstabiliser cette mécanique complexe.

Pour ses partisans, cette approche montre une capacité d’adaptation extraordinaire, une modernité qui transcende les anciennes catégories politiques. Pour ses détracteurs, c’est une gouvernance à courte vue, qui risque d’éroder les fondements mêmes de la République française. Ce qui est certain, c’est qu’Emmanuel Macron a redéfini la manière de faire de la politique en France, pour le meilleur ou pour le pire, en instaurant un ordre nouveau basé sur l’instabilité et l’incertitude.

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