« E/acc » : première secte technologique de la Silicon Valley ?

27 juin 2024

La Silicon Valley voit émerger un nouveau mouvement appelé « accélérationnisme efficace » ou « e/acc ». Ce courant, inspiré par les théories de Nick Land, prône une croissance technologique illimitée, considérant l’innovation comme la solution aux grands défis contemporains, tels que le changement climatique.

Contexte historique et philosophique

L’accélérationnisme, bien qu’influencé par la pensée de Karl Marx, ne trouve pas directement ses racines dans ses écrits. Marx voyait le capitalisme comme un système intrinsèquement contradictoire, capable de provoquer des changements sociaux radicaux. Au XXe siècle, les idées de Marx ont été réinterprétées et développées par divers penseurs, notamment Nick Land. Philosophe britannique influent, Land et d’autres contemporains ont extrapolé les idées de Marx, affirmant que la technologie et le capitalisme moderne sont des forces autonomes et accélératrices, propulsant l’humanité vers un avenir radicalement transformé.

L’accélérationnisme classique, émergeant dans les années 1990, considère que les forces du capitalisme doivent être intensifiées pour atteindre une transformation sociale radicale. Cette idée est largement développée par Nick Land, dont les écrits suggèrent que la technologie et le capitalisme doivent être poussés à leurs limites pour provoquer un changement inévitable. Il existe deux branches principales de l’accélérationnisme : l’accélérationnisme de gauche, qui croit que l’accélération des processus capitalistes peut être détournée pour des fins progressistes et émancipatrices, et l’accélérationnisme de droite, souvent associé à Land, qui prône l’intensification du capitalisme sans intervention étatique pour mener à des transformations technologiques et sociales extrêmes.

L’e/acc repose sur les idées de Nick Land qui soutient que le capitalisme et la technologie sont des forces autonomes conduisant à une accélération exponentielle de l’histoire. Selon cette vision, il faut accepter cette accélération et ses conséquences, positives ou négatives, plutôt que de chercher à la freiner. Les accélérationnistes efficaces partagent cette vision tout en ajoutant une dimension optimiste. Ils pensent que l’accélération technologique peut permettre de réaliser des idées innovantes bénéfiques pour l’humanité, comme le développement de l’intelligence artificielle générale (AGI) capable de résoudre des problèmes complexes tels que le changement climatique, la pauvreté et les maladies.

L’attrait de l’e/acc repose également sur des projets ambitieux comme les sphères de Dyson. Ces sphères, sur une idée du physicien Freeman Dyson, consisteraient à entourer une étoile pour récolter son énergie, offrant une source d’énergie quasi infinie. Bien que cette idée semble futuriste, elle illustre l’audace et l’imagination des partisans de l’e/acc. L’e/acc a pris forme sur les réseaux sociaux et forums spécialisés dès 2022. Ce mouvement attire aujourd’hui des personnalités majeures de la technologie comme Marc Andreessen et Garry Tan. Depuis 2023, le mouvement organise des conférences et aspire à devenir une force politique organisée.

Espoirs et ambitions des accélérationnistes efficaces dans l’IA

Depuis la sortie de ChatGPT par OpenAI en novembre 2022, l’intérêt pour l’IA a connu une véritable explosion. Cette technologie a captivé non seulement les professionnels du secteur technologique mais aussi le grand public. Selon un rapport de Grand View Research, le marché mondial de l’IA devrait atteindre près de 1000 milliards de dollars d’ici 2028, avec un taux de croissance annuel composé de 40 % de 2021 à 2028. Cette expansion rapide reflète l’adoption croissante de l’IA dans divers secteurs, allant de la santé à la finance, en passant par l’éducation et les services publics.

Ces chiffres illustrent une adoption rapide et généralisée des technologies d’intelligence artificielle. En 2020, le marché mondial de l’IA était évalué à environ 62,35 milliards de dollars, ce qui signifie que la valeur marchande devrait être multipliée par plus de 16 en moins d’une décennie. Cette croissance est principalement alimentée par les investissements massifs dans la recherche et le développement de nouvelles applications IA, ainsi que par l’intégration croissante de l’IA dans les processus commerciaux.

L’IA est de plus en plus adoptée dans des secteurs variés. Par exemple, dans la santé, l’IA est utilisée pour améliorer les diagnostics, prédire les épidémies et personnaliser les traitements. Dans le secteur financier, elle aide à détecter les fraudes, optimiser les portefeuilles d’investissement et offrir des conseils financiers personnalisés. L’éducation bénéficie également de l’IA à travers des plateformes d’apprentissage adaptatif qui personnalisent l’enseignement en fonction des besoins individuels des étudiants.

Cette croissance exponentielle de l’IA a également un impact significatif sur l’emploi et l’économie. Bien que l’IA crée de nouvelles opportunités d’emploi, notamment dans le développement et la maintenance des technologies IA, elle suscite également des inquiétudes quant à la disparition de certains emplois traditionnels. Les experts estiment que l’IA pourrait automatiser jusqu’à 30 % des emplois existants d’ici 2030, selon un rapport de McKinsey Global Institute.

Pour les partisans de l’accélérationnisme efficace, ces chiffres sont prometteurs. Ils voient dans cette croissance rapide une validation de leur croyance que l’accélération technologique peut résoudre des problèmes mondiaux majeurs. Le potentiel de l’IA pour transformer des industries entières, améliorer la productivité et générer de la richesse est en ligne avec leur vision d’une croissance technologique sans limites. Cette perspective optimiste alimente leur engagement à pousser les frontières de l’innovation technologique, malgré les défis et les controverses.

Controverses et critiques

Le mouvement de l’accélérationnisme efficace fait face à de nombreuses critiques pour son approche parfois jugée aveuglément technophile et son mépris potentiel des conséquences sociales et éthiques de l’IA. Les critiques qualifient souvent ce mouvement de religion apocalyptique ou de culte irresponsable, soulignant ses parallèles avec des sectes en raison de son optimisme excessif et de sa croyance en la technologie comme solution ultime.

Les détracteurs affirment que l’e/acc se focalise exclusivement sur les aspects positifs de l’innovation technologique, sans tenir compte des possibles impacts négatifs sur la société. Ils accusent le mouvement de promouvoir une vision idéalisée de la technologie, ignorant les risques potentiels tels que la perte d’emplois, l’augmentation des inégalités sociales et économiques, sans parler de la menace pour la vie privée. Cette approche peut être perçue comme une forme de techno-fétichisme, où la technologie est vénérée sans une évaluation critique de ses implications.

Certains critiques voient l’e/acc comme une sorte de religion apocalyptique. L’idée que la technologie, et particulièrement l’intelligence artificielle générale (AGI), pourrait résoudre tous les problèmes de l’humanité, relève pour eux d’une croyance quasi-messianique. Cette perspective pourrait conduire à un culte de la technologie où l’IA est idolâtrée comme une solution divine, sans tenir compte des réalités complexes et des nuances des problèmes mondiaux.

Un autre aspect des critiques concerne l’accusation que l’e/acc sert principalement les intérêts d’une élite technologique privilégiée, au détriment des populations vulnérables. Les technologies avancées tendent souvent à être développées et contrôlées par un petit nombre d’acteurs puissants, exacerbant les inégalités existantes. Les adversaires du mouvement soulignent que cette dynamique pourrait aggraver les injustices sociales, avec les bénéfices de la technologie n’étant pas répartis équitablement.

Enfin, les critiques accusent l’e/acc de négliger les principes démocratiques et les droits humains. La quête d’une accélération technologique sans limites pourrait mener à des décisions prises sans consultation publique ou sans respecter les cadres éthiques. Cette approche peut mettre en péril la transparence, la responsabilité et la participation citoyenne, essentiels pour une société juste et équitable.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

HISTOIRE PRECEDENTE

Élections législatives : le Rassemblement national face à ses candidats les plus controversés

HISTOIRE SUIVANTE

Marche des Fiertés à Paris : un signal fort contre l’extrême droite

Latest from Sciences & Technologies